Mason (Français) - Couverture du livre

Mason (Français)

Zainab Sambo

Chapitre 3

LAUREN

Je ne pouvais pas me souvenir de la dernière fois où je m’étais réveillée avec autant d’excitation et de nervosité pour aller au travail.

J’avais à peine dormi la nuit précédente.

Mon esprit n’arrêtait pas de me répéter que j’allais travailler pour Mason Campbell. À un moment donné, je me suis pincée, et je me suis dit que ça ne devait être qu’un rêve. Ou peut-être un horrible cauchemar.

Quand je l’ai annoncé à Beth, ma meilleure amie et colocataire, elle a eu l’audace de me rire au nez et de me traiter de menteuse.

Elle ne croyait pas que je puisse éventuellement parler à Mason Campbell. Elle prétendait que je n’étais pas assez influente pour lui adresser la parole et me retrouver en sa présence.

Elle pensait que j’avais trouvé un boulot dans un endroit répugnant, et je ne voulais pas lui en parler. Je me suis contentée de lui répondre que j’allais travailler chez Campbell Industrie.

Je mentirais si je disais que je n’étais pas profondément insultée.

Elle parlait comme si Mason Campbell était un Dieu qu’on ne pouvait pas approcher. Mais permettez-moi de vous faire remarquer un fait : il n’était ni un Dieu ni un ange.

Il n’était pas un homme qui distribuait des bonbons aux enfants, et qui disait des mots gentils qui faisaient chaud au cœur.

C’était Satan.

Mason Campbell était un type qui dérobait les bonbons aux enfants, et les mangeait devant eux.

C’était un type qui vous poussait devant une voiture en marche.

Il pouvait prononcer quelques mots et provoquer une crise cardiaque ou laisser une cicatrice sur le cœur des gens.

Il y avait cependant un point positif chez lui. Il était mignon, et je ne pouvais pas le nier.

Pourquoi les hommes séduisants étaient-ils impolis, froids et insensibles ?

Je parle en connaissance de cause. Le dernier bel amoureux que j’ai connu, il y a quelques années, me trompait. Il avait déclaré que j’étais trop ennuyeuse et trop exigeante. Un vrai salaud.

D’accord, ce n’était peut-être pas une explication suffisante.

Mais, que penser de tous ces superbes mecs à qui j’avais souri et qui m’avaient répondu froidement, hein ?

Quoi qu’il en soit, Mason était le plus grand des branleurs.

Il avait carrément déclaré que je n’étais pas intelligente, et il avait osé se moquer de mon école.

C’était tout à fait charmant si on le comparait à ce qu’il avait affirmé sur mon manque d’expérience. Je ne pouvais qu’imaginer à quel point il allait être atroce de bosser pour lui.

Peut-être était-il de mauvaise humeur la dernière fois ? Peut-être qu’il n’était pas si horrible que ça, et que je l’avais mal jugé.

Peu importe ce qu’il était, j’allais être la meilleure assistante avec laquelle il n’avait jamais bossé. Je n’allais pas lui offrir d’occasions pour me critiquer et me mépriser.

Ce matin-là, je me suis réveillée tôt. Je me suis habillée et j’ai adopté un visage souriant et courageux.

Je n’ai pas voulu réveiller Beth et lui annoncer que je partais. Elle aurait risqué de me dire un truc que je n’aurais pas aimé. J’ai attrapé tout ce dont j’avais besoin, et j’ai quitté l’appartement.

À mon sens, la tenue que je portais était la plus appropriée de ma garde-robe.

Je serais tout à fait capable de porter de beaux vêtements pour un mariage ou une occasion spéciale, mais je ne pouvais pas concevoir que je les enfilerais pour aller bosser. Je me demandais aussi quelle hostilité j’allais rencontrer en posant les pieds chez Campbell Industrie.

Il semblait que le bruit se soit déjà répandu quant à mon nouveau poste d’assistante du patron.

Il y a longtemps que ça ne m’était pas arrivé.

J’ai ignoré les quelques regards que je recevais, et j’ai pressé mon doigt, couvert de sueur, sur le bouton qui allait me conduire à l’étage de monsieur Campbell.

Dès que la porte s’est ouverte, je suis sortie d’un pas nerveux. Si mes jambes avaient eu leur propre volonté, elles auraient décampé et m’auraient abandonnée.

Lorsque j’ai posé les pieds sur l’étage, je ne savais pas où je devais me rendre. Je ne pouvais pas faire irruption dans le bureau de monsieur Campbell, et lui demander l’emplacement de mon bureau.

D’ailleurs, je ne crois pas qu’il était déjà arrivé.

« Lauren Hart ? »

Je me suis retournée lorsque j’ai entendu mon nom, et je suis tombée nez à nez avec une femme magnifique. Elle était si belle et si bien habillée. Je l’enviais.

Tout ce que je souhaitais était de lui tirer les cheveux, et d’abîmer sa jupe et son chemisier. Je voulais salir cette femme, et je ne savais pas pourquoi.

Oh, je savais pourquoi. Elle était tellement plus belle que moi.

Dieu sait ce qu’elle voyait lorsqu’elle me regardait.

Je sais très bien ce que je voyais quand je me regardais.

Elle semblait avoir vingt-quatre ou vingt-cinq ans.

« Oui ? » ai-je répondu poliment. J’ai même esquissé un sourire.

A-t-elle répondu par un sourire ? Non.

« Je m’appelle Jade. Je suis un peu surprise de vous trouver ici aussi tôt, mais c’est très bien ainsi. Monsieur Campbell ne tolère pas que ses employés arrivent en retard au travail. »

J’avais envie de lui répondre : « N’êtes-vous pas arrivée un peu plus tôt que moi, pétasse ? » Mais, j’ai souri à nouveau.

« Je ne doute pas que ce soit le cas de tout le monde. C’est une chance que je sois toujours matinale. Monsieur Campbell n’aura pas à s’inquiéter de me voir rentrer en retard. »

« Hum… » Elle a hoché la tête en mâchouillant son stylo et m’a jeté un coup d’œil. Elle n’aimait visiblement pas ce qu’elle voyait.

« Personne ne m’a dit à quoi ressemblait la nouvelle assistante de monsieur Campbell, mais je dois avouer que je suis un peu déçue. »

« Je m’attendais à mieux. Mais je suppose qu’il a eu pitié de vous. Si j’étais lui, j’aurais eu la même réaction. »

En fait, je ne voulais pas la salir. Je voulais plutôt l’assassiner et l’enterrer six pieds sous terre où son cadavre se décomposerait et se réduirait à des os et à un crâne.

Les patrons et les employés étaient-ils tous pareils ? Ils se comportaient vraiment comme s’ils étaient meilleurs que tout le monde.

Je lui ai fait un grand sourire.

« Je suppose qu’il a vu une qualité qu’il ne trouvait chez aucune autre personne. Je dois avoir de la chance. »

Son regard meurtrier me donnait un peu de satisfaction.

« Peu importe. Suivez-moi, je vais vous conduire à votre bureau. »

Je l’ai suivie de près, les yeux rivés sur son dos.

Au moment où elle s’est retournée, j’ai plaqué un doux sourire sur mon visage.

Elle m’a désigné un bureau sur lequel était posé un ordinateur portable blanc. Le bureau était poussé contre le mur, à côté d’une grande porte à double battant.

« Vous allez vous asseoir ici », a-t-elle précisé.

« Vous pouvez poser un seul accessoire personnel sur votre bureau, car monsieur Campbell ne tolère pas trop ce genre de truc. Votre travail consistera à répondre au téléphone et à accomplir ses tâches. Est-ce que vous comprenez ? »

« Oui. »

« Très bien. Bienvenue chez Campbell Industrie. Nous verrons combien de temps vous tiendrez. »

Je me suis mordillé la langue, et j’ai forcé ma respiration par le nez.

« Je vous assure que ce sera plus longtemps que vous le ferez. »

J’ai vu ses sourcils se contracter, mais elle n’a rien ajouté. Elle s’est éloignée, et j’ai pu m’installer.

Il n’a pas fallu trente minutes pour que monsieur Campbell entre comme une tempête prête à aspirer tout le monde dans son tourbillon.

Son visage ne contenait aucune émotion, et ses yeux froids comme la pierre pouvaient mettre fin à votre existence.

Je suis restée figée, incapable de détacher mon regard de ses bras musclés, de son torse et de ses jambes. Son costume bleu Armani épousait son corps comme une seconde peau.

Il y avait, dans sa démarche, quelque chose de parfaitement mortel et de prédateur.

Mon cœur battait de fascination.

C’était un homme puissant, incroyable à tous les points de vue, et le simple fait de le voir en ce moment, dans sa gloire, me mettait presque à genoux.

C’était comme si je le voyais pour la première fois.

Tout le monde le saluait d’un signe de tête, mais il les ignorait, et se dirigeait vers son bureau avec une grâce que je n’avais jamais observée chez quiconque.

Il était vraiment grossier.

Je suis demeurée à mon bureau pendant quelques minutes avant de prendre mon courage à deux mains, et de m’approcher de son bureau.

J’ai frappé à sa porte une fois, deux fois, et je n’ai rien obtenu en retour.

J’ai frappé à nouveau, bruyamment cette fois.

« Quoi ? » Sa voix était profonde et tonitruante. On aurait dit qu’elle grondait à l’intérieur du bâtiment.

J’ai ravalé le fiel qui montait dans ma gorge, et j’ai tourné la poignée. J’ai poussé la porte et je suis entrée dans son bureau glacial, en refermant la porte derrière moi.

« Bonjour, monsieur. » Je l’ai salué, tandis que mon cœur battait à tout rompre dans ma poitrine.

Monsieur Campbell a levé lentement la tête pour me regarder.

Il semblait plus effrayant que je n’aurais pu l’imaginer. Je n’ai pas pu contrôler le frisson qui a secoué mon corps lorsque ses yeux argentés se sont posés sur moi. Son regard n’avait rien de familier.

J’ai retenu mon souffle.

Ses yeux se promenaient sur moi, de façon presque paresseuse. J’ai ressenti de l’ennui, une certaine forme d’agacement, et une distance presque glaciale qui le distinguait.

Nos yeux sont demeurés fixés pendant un long moment. L’intensité était à en perdre le souffle.

Une centaine de sensations m’ont traversée à cet instant. C’était comme si tout le reste du monde s’était arrêté.

Cet homme… était effrayant. Et j’avais peut-être accidentellement vendu mon âme à ce type.

« Oui, puis-je vous être utile ? » a-t-il aboyé.

Je le fixais, incapable de comprendre ce qu’il voulait insinuer par là. Est-ce que je n’avais pas la permission de le saluer jusqu’à ce qu’il ait besoin de moi ?

Avant que je puisse dire quoi que ce soit, il m’a posé à nouveau quelques questions.

« Comment êtes-vous arrivée ici ? Qui vous a permis d’entrer ? » Il a appuyé sur un interphone et s’est adressé à un homme. « Qui a laissé entrer cette femme ? Est-ce que je vous paie pour autoriser n’importe quelle étrangère à s’introduire dans mon bureau ? Quelle femme ? Vous êtes viré ! »

Il avait haussé la voix contre le pauvre homme à l’autre bout du fil.

« S’il vous plaît, monsieur Campbell, vous m’avez engagée pour être votre assistante. Lauren Hart, vous vous souvenez ? » ai-je demandé d’une voix étouffée et suppliante.

Mon cœur battait la chamade, et je n’arrivais pas à bouger. Mon instinct le plus profond m’avertissait de ne pas irriter cet homme davantage. Il était comme une tempête impitoyable, une force avec laquelle il ne fallait pas négocier.

Puis, il a froncé les sourcils. Il m’a jaugée, et a pointé son stylo vers moi en signe de reconnaissance.

« Vous paraissez certainement différente. Pas aussi moche que l’autre jour. C’est un progrès. »

« Oui, monsieur », ai-je répondu tandis que je m’efforçais à garder un ton léger et simple. « Je tâcherai de répondre aux attentes de cette entreprise. »

Il a détourné son regard, et a rétorqué : « Je ne vois pas comment ce serait possible, mademoiselle Hart. »

Je l’ai observé griffonner quelques mots sur un morceau de papier. « Prenez ça. »

Je me suis empressée de saisir le papier et nos doigts se seraient effleurés s’il ne l’avait pas relâché immédiatement avant que ça ne se produise.

« C’est mon adresse électronique et le mot de passe. Répondez à tous mes courriels. Ignorez ceux qui ne sont pas pertinents. Ne planifiez pas de réunions sans m’avoir consulté au préalable. »

« Ne rendez, en aucun cas, mes courriels publics, mademoiselle Hart. »

« Mes courriels sont privés. Si je découvre que vous en avez discuté avec quelqu’un, famille ou ami, je vous assure que vous le regretterez amèrement. »

Mon cœur s’est mis à battre à toute vitesse, et je détestais le fait qu’il puisse susciter une telle angoisse dans mon esprit. D’autant plus qu’il le provoquait intentionnellement.

Bien sûr qu’il le faisait.

« Tous les matins, à neuf heures précises, vous m’apporterez mon thé, pas de café. Je l’aime noir. Il ne doit être ni trop froid, ni trop chaud. Tous les dossiers que je dois signer doivent être sur mon bureau avant mon arrivée. »

« Vous ne devez pas entrer dans mon bureau entre midi et une heure, et aucun visiteur n’y est autorisé. Vous devez aller chercher mon déjeuner au restaurant Rosière. C’est à une heure de route, et je me fiche de savoir comment vous y arriverez. Demandez mon plat habituel. »

« Gardez à l’esprit qu’il doit être chaud, sur ma table, à deux heures. S’il refroidit, je déduirai le prix de votre salaire. »

Ce mec ne plaisantait pas. Il était tellement autoritaire.

Regardez-le, énoncer ses ordres comme s’il régnait sur la Terre, ou un truc du genre.

Si cet homme dirigeait le monde, nous serions tous condamnés.

Je ne l’avais pas côtoyé longtemps, mais je savais que le monde en souffrirait.

« Est-ce que vous m’écoutez ? » Il semblait outré. La colère émanait de son visage, et son regard me parcourait d’un œil critique.

Son expression avait quelque chose de sinistre qui me retournait l’estomac.

J’ai dégluti, et hoché la tête.

Ses yeux ont rétréci. « Vous ne hochez pas la tête. Vous répondez quand je vous parle. Comprenez-vous ? »

« Oui, monsieur. » J’ai baissé les yeux avant de les relever.

L’expression sévère de son visage me terrorisait. Il a poursuivi sur son ton froid et impitoyable.

« Je vous remets ceci. » Il m’a lancé ce qui ressemblait à un manuel. « Lisez-le et appliquez-le, si vous souhaitez encore travailler ici dans une semaine. »

« Je promets de ne pas vous décevoir », ai-je dit calmement.

« Je me moque que vous me déceviez, mademoiselle Hart. Je serais ravi de constater que c’est le cas. Ça ne ferait que prouver ce que je pense de vous. N’allez pas croire que vous êtes officiellement entrée chez Campbell Industrie. »

« Vous êtes en période d’essai. La moindre erreur vous fera sortir d’ici plus vite que vous ne pouvez cligner des paupières. Comme je l’ai mentionné, vous n’êtes pas la seule personne qui aimerait occuper ce poste. »

« Des candidats plus talentueux que vous le souhaiteraient. » Il entrelaçait ses doigts devant lui. « Et ne vous mettez pas dans la tête que vous êtes une personne irremplaçable. »

Fils de pute.

Une réplique m’est venue aux lèvres, mais il m’a fait taire par sa main levée.

« Ce sera tout. »

Je me suis retournée, et j’ai quitté le bureau en silence.

Je savais que Mason Campbell était un homme effronté, mais je n’avais jamais imaginé qu’il était aussi grossier.

Sans adresser le moindre regard à qui que ce soit, je me suis dirigée vers mon bureau.

Je me suis assise, et j’ai compté jusqu’à dix avant de reporter mon attention sur le manuel de l’employé qu’on m’avait confié. J’allais commencer à le feuilleter quand une toux a retenti.

J’ai levé la tête et j’ai fait face à Jade, qui me lançait subtilement un « je te déteste, mais je ne peux rien y faire. »

« Oui ? »

Elle s’est contentée de lever les yeux au ciel.

À huit heures cinquante-cinq exactement, je me suis précipitée pour préparer le thé de monsieur Campbell.

Je me suis arrêtée, et j’ai tenté de me rappeler s’il m’avait mentionné combien de sucre il voulait dans son thé, ou s’il n’en voulait pas du tout.

J’ai pris un risque, et je n’ai pas ajouté de sucre. Cette décision pouvait soit me porter secours, soit me faire renvoyer de l’entreprise.

Lorsqu’il m’a autorisée à entrer dans son bureau, j’ai procédé aussi calmement que possible.

J’ai posé le thé devant lui, et j’ai attendu qu’on me demande de partir. Monsieur Campbell s’est contenté de terminer son travail sur son ordinateur portable avant de prendre son thé.

J’ai soupiré de soulagement lorsqu’il s’est gardé de crier qu’il n’y avait pas de sucre.

« Vous pouvez partir », a-t-il lancé, d’un ton glacial.

Il n’avait toujours pas posé son regard sur moi.

« De rien, monsieur », ai-je répondu, tandis que je retournais vers mon bureau.

Sa voix a immobilisé mon élan.

« Qu’est-ce que vous venez de dire ? » Il y avait de l’incrédulité dans son ton, et de la colère. Une vague de colère terrifiante qui faisait trembler mes jambes. « Êtes-vous sarcastique à mon égard, mademoiselle Hart ? »

J’ai secoué la tête, et j’ai essayé de me rappeler le moment exact où mes sens avaient quitté mon corps. Je n’étais pas sarcastique. Comment pourrais-je l’être quand j’ai un patron comme lui ?

C’était simplement un instinct qui m’avait poussée à le dire.

« Je suis désolée, monsieur. Je ne voulais pas vous offenser. » Je ne comptais plus le nombre de fois où je m’étais confondue en excuses depuis que je l’avais rencontré pour la première fois.

Quelque chose me disait que ce n’était pas terminé.

Il a plissé les yeux, et a tenté de me déstabiliser. Il voulait me prouver que j’étais faible et incapable de supporter la pression. Du moins, c’est ce que je croyais qu’il faisait.

« Vous pouvez disposer. »

Je suis partie en courant, et j’ai pu respirer normalement dès que je me suis débarrassée de son regard foudroyant.

Un petit rire se faisait entendre, et je me suis retournée pour chercher le coupable.

Un homme grand et maigre me fixait, les lèvres courbées en un sourire narquois. Il avait des cheveux courts et foncés sur les côtés, et la pointe au milieu était un peu longue et désordonnée.

Quand il s’est aperçu que je le regardais, il s’est approché de mon espace. « Félicitations », a-t-il exprimé d’une voix grave, avec une pointe de plaisanterie.

« Vous avez survécu à deux visites dans son bureau. Ça mérite d’être célébré. »

Je n’ai pas pu m’empêcher de sourire pour deux raisons.

Premièrement, parce que je savais qu’il disait probablement la vérité, et deuxièmement, parce que je sentais qu’il allait me plaire. Il avait le visage le plus amical que j’avais aperçu au bureau.

Il a fait une petite révérence, qui lui a valu un autre gloussement, et j’ai déclaré : « Voudriez-vous graver ce message sur une tasse et la déposer sur mon bureau ? »

« Oh, c’est astucieux. Vous allez donner satisfaction à quelqu’un d’autre. Vendu. »

J’ai tendu la main, et mon sourire s’est amplifié.

« Je m’appelle Lauren. Lauren Hart. »

Le rouquin a libéré sa tasse d’une main et a serré la mienne.

« Enchanté, Lauren. Je suis Aaron Hardy. C’est vraiment agréable de constater que quelqu’un sort du bureau du patron sans verser une larme. »

« On peut dire que je suis courageuse. »

Il a acquiescé, et a incliné la tête de l’autre côté pour me scruter.

« Ou stupide. Pourquoi avez-vous accepté ce boulot ? » m’a-t-il demandé. Avant que je puisse répondre, il m’a coupé la parole et s’est exclamé : « Ahah ! Je crois que j’ai compris. C’est le salaire, n’est-ce pas ? C’est toujours le salaire. »

J’ai levé les yeux au ciel. « Ça ressemble à ça. J’ai besoin d’argent. »

« Ahah. »

« Vous êtes terriblement gentil avec moi. Comment est-ce possible ? Tout le monde me déteste ou est sur le point de me détester. Ils sont tous si tendus. Ces gens-là devraient prendre une pilule pour se détendre. »

Il s’est mis à rire, et ses les épaules tremblaient. « Croyez-moi, ils sont jaloux de vous. Monsieur Campbell n’a pas l’habitude d’embaucher — excusez mon choix de mots — quelqu’un comme vous. »

« Il aime que ses employés aient de la classe, et qu’ils ne risquent pas d’embarrasser sa société. Les gens pensent que vous êtes un cas particulier pour lui. »

J’ai grimacé. « C’est vraiment bête. Il me déteste. »

« Il vous déteste autant qu’il déteste tout le monde », a ajouté Aaron. « Ce n’est pas personnel. »

« Je me demande pourquoi. »

« Voilà, ma chère Lauren, ce que nous nous demandons tous », a-t-il dit avec un clin d’œil.

« Remettons-nous au travail avant de devoir rester une heure de plus après le boulot. »

Je me suis avancée à côté de lui, l’air étonné.

« Êtes-vous sérieux ? »

« Non », a-t-il répondu. « Ce n’est pas un salaud à ce point. »

Je me suis immobilisée, et je lui ai lancé mon plus beau regard qui signifiait « vous vous foutez de moi. »

Il s’est retourné et a haussé les épaules. « D’accord, c’est peut-être un salaud. »

« Un salaud de première catégorie, si vous voulez mon avis », ai-je lancé.

Quelqu’un s’est raclé la gorge et je me suis figée sur le coup. Mon cœur battait à tout rompre.

Ce sont les rires d’Aaron qui m’ont fait sortir de mes gonds.

« Oh, mon Dieu. » Il s’est mis à rire à gorge déployée. « Vous auriez dû voir votre visage. Vous pensiez que c’était lui. »

« N’est-ce pas le cas ? »

« Non, mais vous devriez faire attention à ce que vous dites. »

Une fille aux cheveux verts m’a souri, et a passé son bras autour du cou d’Aaron.

« Est-ce la nouvelle ? »

Je me suis redressée, j’ai relevé les épaules et je l’ai regardée dans les yeux.

Elle s’est esclaffée.

« Putain, ma petite, je ne mords pas », a-t-elle dit, amusée de me voir garder la tête haute.

Je me suis immédiatement détendue, et j’ai compris qu’elle ne voulait pas me faire de mal. Elle ne manifestait aucun signe de dédain.

« Je m’appelle Athéna. »

J’ai haussé un sourcil.

Elle sourit. « Ma mère est étrange. »

J’ai souri à mon tour. « Lauren. Vous avez des cheveux verts, et vous n’êtes pas renvoyée. »

Je savais pertinemment que Mason Campbell n’aurait jamais, au grand jamais, embauché quelqu’un avec des cheveux verts.

« C’est parce qu’il ne peut pas me virer. Je suis sa tante. »

« Quoi ? Mais vous n’avez pas l’air de paraître plus de… »

« Vingt-trois ans ? » a demandé Athéna. « Oui, on me le dit souvent. Il est plus âgé que moi, mais je suis sa tante. Sa mère est ma demi-sœur. »

« Ouah ! »

Elle devait être la seule personne avec qui il pourrait être gentil.

Athéna a fixé mon visage hébété. « Oh, chérie, ce n’est pas parce que je suis sa tante que je n’ai pas ses ennuis aussi. »

« Oui, mais tu es la seule personne qu’il respecte », a ajouté Aaron.

Elle a haussé les épaules comme si ce n’était pas si grave. Je n’ai jamais pensé que monsieur Campbell était capable de respecter qui que ce soit.

Son énorme ego de la taille d’une planète n’aurait pas pu tolérer une telle exigence. Pour un homme qui demandait le respect partout où il allait, c’était une information étrange à constater.

« Allons-y », a suggéré Aaron, « J’ai été chargé de veiller à ce que vous arriviez en avance à sa prochaine réunion. »

Mes sourcils se sont dressés.

« Sans déconner, vraiment ? Il a jugé que je n’étais pas capable d’être à l’heure, et il m’a affecté un baby-sitter ! Est-ce à vous que l’on a confié la tâche stupide de m’escorter jusqu’à la réunion ? »

Il s’est redressé de toute sa taille, un sourire taquin aux lèvres.

« Je me paie votre tête, Lauren. Il n’a ni le temps ni l’énergie pour faire ça. Je ne veux pas que vous soyez renvoyée. Vous ne savez pas ce qui se produirait si ça arrivait. »

J’ai entendu des rumeurs selon lesquelles vous auriez de la chance de pouvoir retravailler un jour…

« Oh, je pense que j’en ai une bonne idée », ai-je dit. « Mais c’est tout simplement bête. Pourquoi diable aurait-il autant d’influence sur les gens ? »

« Vous sous-estimez le pouvoir de Mason Campbell, Lauren. »

Je marchais aux côtés d’Aaron vers la salle de conférence et, à ma grande surprise, une autre personne m’avait déjà devancée.

Jade.

Elle était assise sur la chaise, près du siège du patron.

J’ai étouffé un rire, mais je crois que je n’ai pas suffisamment essayé. Elle a relevé la tête et nous a jeté un regard glacial.

« Je suppose qu’il y a une personne plus désireuse que vous de plaire au patron », a commenté Aaron.

« N’en faites pas trop, Jade. Ce serait du gâchis. »

« Fermez-la », lui a-t-elle lancé.

Je n’ai rien ajouté, j’ai trouvé un siège au bout de la table et je m’y suis glissée. Aaron a choisi la chaise à côté de moi.

À huit heures précise, les gens ont commencé à entrer et à remplir toutes les chaises vides, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’une.

À huit heures trois minutes exactement, monsieur Campbell est entré. Nous nous sommes levés de nos sièges et lorsqu’il s’est assis, nous avons fait de même.

Je me suis efforcée de ne pas le regarder. Mais pas suffisamment, car je pouvais toujours voir son visage clairement.

Il ne souriait pas et ne fronçait pas les sourcils non plus. Il avait l’air sérieux et déterminé. Tous les autres employés lui consacraient entièrement leur attention. Le pouvoir, le leadership et l’autorité lui appartenaient.

J’ai détourné les yeux de son regard pénétrant, et j’ai concentré mon attention sur la vue à l’extérieur.

« Mademoiselle Hart. »

C’était tellement beau. J’aurais pu contempler ce paysage toute la journée.

« Mademoiselle Hart. »

« Lauren » a sifflé Aaron, puis il m’a donné un coup de coude dans les côtes.

« Aïe, quoi ? » Je l’ai regardé fixement, et j’ai frotté l’endroit où il m’avait infligé un coup. J’avais mal. J’espérais qu’il ne m’avait pas fait de bleu. Puis, j’ai remarqué que tous les regards étaient tournés vers moi.

J’avais envie de me cacher sous la table.

« Vous manquez de concentration lors de votre toute première réunion. Qu’avez-vous l’intention de nous révéler de plus en une journée, mademoiselle Hart ? » se moqua-t-il.

Les yeux de monsieur Campbell étaient braqués sur moi, ses mains étaient croisées devant lui et il me regardait.

Son costume Armani bleu foncé le faisait paraître plus large et plus grand que jamais.

L’air ambiant semblait bourdonner et grésiller sous l’effet de sa présence : puissante et essentielle, si audacieuse et exigeante.

Mon pouls s’est soudain accéléré face à l’attention qu’il me portait, mais j’étais convaincue qu’il ne connaissait pas l’effet qu’il produisait sur moi… ou bien le savait-il ?

J’ai levé le menton et je l’ai fixé avec ce que j’espérais être le regard d’une femme froide et confiante.

« Je suis désolée. Ça ne se reproduira plus. »

J’étais soulagée de ne pas avoir bégayé et de ne pas avoir manifesté un signe de faiblesse.

Un moment de silence.

« Mademoiselle Willow. »

Jade n’a pas tardé à répondre. « Oui, monsieur ? » Elle était d’une douceur agaçante. Elle avait l’air d’un chien qui venait de voir une friandise.

Ne pouvait-elle pas essayer d’avoir l’air moins enthousiaste ?

« Échangez votre place avec mademoiselle Hart. »

Son visage s’est effondré sous l’effet de l’émotion. J’étais aussi surprise qu’elle.

Jade a glissé de sa chaise et Aaron a dû me donner un coup de coude à nouveau avant que je ne me lève. À chaque pas que je faisais, le nœud dans mon estomac se resserrait.

J’aurais préféré demeurer là où je me trouvais.

Le fait que tous les regards étaient braqués sur moi, en particulier celui de monsieur Campbell, me rendait mal à l’aise.

Mes pas ralentissaient, mais je n’arrêtais pas d’avancer.

Je me suis installée sur la chaise de Jade.

J’étais à découvert, à la vue de tous. J’avais envie de m’enfoncer dans le sol et de disparaître.

Athéna était là aussi. Elle a haussé les sourcils de surprise, puis m’a fait un clin d’œil.

J’ai jeté un coup d’œil à Aaron, qui affichait un sourire rassurant.

Je me rendais compte que tous les gens dans la salle étaient surpris par la décision de monsieur Campbell, même s’ils ne l’avaient pas exprimé à haute voix.

Quant à Jade, elle me lançait son regard pénétrant et meurtrier…

J’ai levé les yeux vers Mason Campbell. Son regard était toujours fixé sur moi, et il me donnait l’impression d’être totalement insignifiante. Cependant, je me sentais comme si j’étais la seule personne dans cette pièce.

Je m’attendais à rencontrer beaucoup plus d’ennuis que je ne l’avais imaginé… et ce n’était que le premier jour.

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