L'arrangement de l'Alpha

Mia

Cette semaine a été assez difficile. Je n'arrive pas à me trouver un endroit. Même dans ma chambre, je ne me sens pas à l'aise, ce qui est gênant. Un coup sur la porte me ramène à la réalité.

« Entrez », crié-je. Le visage souriant de Lea apparaît dans l'encadrement de la porte.

« Tu vas bien ? » Elle entre et s'assied sur mon lit. Je fais de mon mieux pour avoir l'air bien. Je suppose qu'elle me connaît trop bien. Immédiatement, elle fronce les sourcils.

« Je vais bien. As-tu besoin de quelque chose ? »

« Je me demandais si l’on pouvait faire des gaufres ? »

Je veux refuser, mais avant que j'en aie l'occasion, elle continue.

« Avec de la crème fouettée, du chocolat et des fraises. J'ai juste besoin d'un coup de main. » Elle rit et me donne un coup de poing dans le bras.

« Par coup de main, tu veux dire quelqu'un qui va nettoyer tout le bazar après ? » Je lève les yeux au ciel, mais je me lève quand même. Même si j'ai déjà mangé, je ne peux pas m'empêcher d'aimer les gaufres.

« Je savais que je pouvais compter sur toi. » Elle se lève aussi et tape dans ses mains avec excitation.

Il ne nous faut pas longtemps pour tout préparer. Lea cuisine, et je nettoie en même temps, une fois que c’est prêt, nous pouvons simplement aller dans le salon et profiter.

« Peut-être que nous pouvons regarder quelque chose ? » Lea me tend la télécommande.

Je démarre Netflix et je cherche quelque chose à regarder, dans le genre « lavage de cerveau », qui fera disparaître la tension. Plus le dîner approche, plus je deviens nerveuse. Je ne veux pas le rencontrer.

« Je ne veux pas regarder ça. Kai m'en a parlé et c'est bien trop tordu. »

Je n'avais pas réalisé que j'avais automatiquement sélectionné un documentaire sur les meurtres. J'en ai entendu parler aussi, mais pas question de le regarder.

Je sélectionne rapidement une série et pose la télécommande.

« Comment est-ce que ça va entre vous ? » Je la regarde. Je suis vraiment heureuse pour elle. Au moins, l'une d'entre nous aura une vraie relation.

« C'est génial ! Je veux dire que nous nous disputons de temps en temps. Comme les couples ordinaires, mais je l'aime vraiment. »

Je souris. Ce n'est pas comme si j'étais jalouse. Comme je l'ai déjà dit, je suis heureuse pour elle, mais le sentiment qu'elle, après tout, a le choix me déprime.

« C'est quand ce dîner ? » demande-t-elle en prenant une autre bouchée de gaufre.

« Vendredi. De longues heures sur la route juste pour rencontrer ce connard. »

« Je jure que maman a demandé à papa s'il avait réservé des billets d'avion. »

« Encore mieux, plus vite on y sera, plus vite tout sera fini. » gémis-je.

« Écoute, demain j'ai rendez-vous avec Ashlee au Bécassine. Viens avec nous. Ça fait une éternité qu'on n'a pas eu de moments entre filles. » Ce sera merveilleux de manger, boire, et bavarder comme nous avions l'habitude de le faire.

« J'avais des plans avec Kai, mais je vais l'appeler et les reporter. Je suis nostalgique de ce temps où l’on avait des soirées pyjama, des fêtes à l'université, et où l’on se faufilait derrière les Betas de papa. » Elle cligne des yeux et rit.

« Super ! On s'est donné rendez-vous à sept heures, car je travaille jusqu'à cinq heures. »

« Oh, c'est encore mieux. Je vais quand même voir Kai, puis je viendrai te chercher au travail. Qu'est-ce que tu en dis ? »

« Parfait, où sont maman et papa ? » J'ai enfin remarqué qu'ils ne sont pas là.

« Ils avaient des choses à discuter avec Brooks. J'ai entendu maman dire quelque chose à propos d'un humain transformé en loup. Apparemment, il y a cette meute sauvage qui fait cavalier seul. »

Des humains transformés ?! C'est interdit. Vous pouvez être condamné à mort. Bien sûr, il y a des exceptions, mais quand même...

Les meutes sauvages ne sont pas interdites. Ce sont des parias qui ont été bannis ou qui ont décidé de quitter leur meute, mais personne ne se soucie d'eux.

« Ça sent les problèmes. OK, je suis épuisée. Je vais y aller maintenant. On se voit demain. Bonne nuit, sœurette. » J'embrasse la joue de Lea et retourne dans ma chambre.

Je m’endors immédiatement après m’être allongée dans mon lit. Je fais à nouveau le même rêve.

Une meute me poursuit, et malgré le fait que je sais ce qui va se passer et que j'essaie d'aller dans l'autre sens, je me retrouve près de la falaise, sautant du bord.

« Pourquoi est-ce que ça se répète comme un disque rayé ?! Ça revient sans cesse. » Je prends une gorgée d'eau et me rendors.

Le matin arrive assez rapidement. Je m’habille, j'attrape une pomme et je me précipite hors de la maison. Avec un peu de chance, je ne serais pas en retard. Ce cauchemar m'a fait rater mon réveil. Je me sens très fatiguée.

Rien que du maquillage ne peut arranger, mais je me sens quand même mal.

Ma journée de travail n'est pas trop mal. J'ai un programme d'activités pour les enfants dans un camp d'été, qui se passe très bien. J'aime les enfants, surtout s'ils montrent un intérêt pour les animaux.

Pour le déjeuner, je prends juste un sandwich. J'ai vraiment hâte d'être au dîner de ce soir avec les filles.

Je passe la plupart du temps dans l'enclos des lynx canadiens. C'est des animaux vraiment étonnants.

Récemment, nous avons ajouté une autre femelle, et nous devons observer si elle s'acclimate lentement au sein de la meute.

La journée file à toute vitesse. Je suis fatiguée, et j'ai dû prendre le bus pour venir. Au moment de pointer, je reçois un SMS de Lea.

« Merci d'être venue me chercher ». J'embrasse ma sœur et dépose mon sac sur la banquette arrière.

« Tu as l'air fatiguée », commente-t-elle.

« Je le suis. On peut faire un saut à la maison ? Je vais me changer et me brosser les dents. »

« Bien sûr, mais j'ai faim, alors fait vite. »

Une fois à la maison, je me change rapidement dans des vêtements propres, je me brosse les dents et je fais quelques retouches de maquillage.

Le Bécassine n'est pas très loin. Ashlee m'attend déjà.

« Je nous ai pris une bouteille de blanc sec. » Elle sourit, et je l'aime rien que pour ça.

« J'ai d'abord besoin de manger. Sinon, un verre et je serai saoule. » Je regarde le menu, et après quelques minutes, je choisis un steak à point, une salade et une pomme de terre au four.

« Lea, comment se passe l'accouplement ? » Ashlee jette un coup d'œil vers ma sœur. Et c'est parti. Peut-être qu'après tout je suis jalouse. Je lève juste les yeux au ciel.

« Bien, j'ai mangé quelque chose, sinon, je ne serais pas capable d'entendre ça encore une fois. »

« Ça se passe bien, je suppose. Ce n'est pas comme si nous planifions un mariage et des enfants en ce moment. Je suis juste heureuse de l'avoir trouvé. » Lea évite clairement mon regard. Je crois qu'elle sait que ce n'est pas un sujet facile pour moi.

Je me verse un autre verre de vin et en prends une gorgée.

« Donc Liam Boyle doit s'inquiéter maintenant, n'est-ce pas ? » Les deux visages se tournent vers moi, et je me contente d'expirer l'air de mes poumons.

« Je ne connais pas le gars, mais savoir qu'il est assez têtu pour continuer cet arrangement me donne un aperçu du genre de personne qu'il peut être. »

« J'ai parlé à une de mes cousines du Montana, et quand elle a appris que mon amie allait se marier avec leur Alpha, elle a eu l'air très déçue et t'a qualifiée de chanceuse. »

« Apparemment, il est sexy. » Elle se mord la lèvre inférieure et fronce les sourcils.

« Youpi, j'ai de la chance. Au moins, je n'aurai pas à mettre un sac en papier sur son visage. » De grands éclats de rire s'entendent depuis notre table.

Ashlee veut savoir quand je le rencontrerais. Elle est surprise quand je lui dis que la date du mariage est déjà fixée et qu'il ne reste plus qu'un mois. C'est le problème.

Nous ne sommes pas deux loups ordinaires qui vont à des rendez-vous, ont leurs premières fois, s'aiment. C'est un arrangement, et tout doit se faire dans la précipitation. Pour être sûr que l'accord soit conclu.

« Écoutez, c'est peut-être un gars sympa et décent. Ma cousine ne le connaît pas, mais tout le monde est content qu'il ait repris la tête de la meute. »

« Ça se pourrait, mais je ne le connais pas, et c'est le problème. Il ne m'est pas destiné. Mais qui s'en soucie ? Ça va aller. »

Après avoir terminé près de deux bouteilles de vin, Lea doit laisser sa voiture sur le parking devant le restaurant et nous prenons un taxi.

Demain, je vais rencontrer M. Important, et si mes parents me voient ivre, j'aurais droit au discours « tu es irresponsable ».

Je m’allonge sur mon lit dès que j’entre dans ma chambre. Évidemment, tout habillée. Je ne saurais dire si c'est à cause du vin, mais cette nuit est finalement sans cauchemars.

« Vous êtes toutes les deux tellement irresponsables ! » entends-je ma mère crier depuis la cuisine.

« Chut. Arrête de crier, ma tête va exploser », dis-je en entrant dans la cuisine et en rejoignant Lea près de l'îlot.

« Tu savais que nous y allions aujourd'hui. Comment as-tu pu te saouler ? Regarde-toi. »

« Quoi ?! Je ne suis pas convenable pour un Alpha ?! » Mon père et ma sœur commencent à rire. Ma mère lève les yeux au ciel et jette le torchon de cuisine sur la table.

« OK, mangez quelque chose, allez prendre une douche et habillez-vous bien. Nous avons un vol dans deux heures, et l'hôtel est réservé pour aujourd'hui et demain. »

« Assurons-nous que tout se passe sans heurts. » Maman tape dans ses mains et me fait monter en me dépêchant.

Après presque quatre heures, nous sommes dans le taxi qui nous conduit chez Liam Boyle. Je suis extrêmement nerveuse, et je continue à lisser ma petite robe noire.

« Chérie, tu es magnifique. Ne t'inquiète pas. » Papa pose une main sur la mienne. Je hoche la tête et regarde par la fenêtre.

« Nous sommes arrivés. » La voiture s'arrête, et le conducteur se tourne vers nous.

« Merci, gardez la monnaie s'il vous plaît. » Papa lui tend l'argent et m'ouvre la porte en me tenant la main pour que je ne tombe pas.

Je suis choquée. L'endroit a l'air incroyable. C'est une énorme maison en bois. Entourée de manière parfaite d'arbres et d'énormes pierres.

« OK, allons-y, chérie. » Maman me pousse doucement vers l'entrée, tandis que papa sonne à la porte.

Peu de temps après, une femme âgée se tient devant nous avec un sourire chaleureux sur le visage.

« Bonsoir, entrez, je vous en prie. M. Boyle vous attend dans le salon. »

La maison est vraiment étonnante à l'intérieur aussi. La hauteur du plafond est impressionnante, et je sens une odeur de bois frais. Nous nous dirigeons vers le salon.

Je regarde l'intérieur, admirant les meubles, quand j'entends sa voix.

« M. et Mme Daniels, c'est un plaisir de vous avoir ici. »

Il a une voix chaude et profonde, et je peux entendre des bribes d'accent anglais. Un frisson parcourt mon corps, me rendant plus nerveuse que je ne l'aurais cru possible.

Il est debout devant moi. Sa chemise noire laisse apparaître tous ses muscles.

Bon sang, la cousine d'Ashlee avait raison. Il est beau. Cette pensée me traverse l'esprit. Mais je pense que c'est un euphémisme. Il est grand, avec des cheveux noirs parfaits et des yeux noirs aussi.

Je n'arrive pas à croire qu'un homme peut avoir des cils aussi longs. Je peux à peine obtenir cet effet après avoir utilisé quatre couches de mascara.

« Et tu dois être Lea. » Il fait un pas de plus pour atteindre ma main.

« En fait, je suis Amelia... Mia », le corrigé-je rapidement. « Lea est ma grande sœur », ajouté-je en lui serrant la main.

« Mes excuses, je pensais que l'arrangement concernait la sœur aînée », dit-il, confus.

Mes excuses si je t'ai déçu, connard, crié-je dans ma tête. C'est peut-être un mec sexy, mais de toute évidence c'est un connard.

« Les circonstances ont changé. Elle a eu la chance de rencontrer son compagnon récemment, et Mia a décidé de se porter volontaire. » Papa semble aussi ennuyé.

« Ouais, un tribut. » Je m'étouffe de rire.

« Oh, je ne voulais offenser personne. J'étais simplement curieux. » Liam sourit et me regarde avec amusement.

« Pas de problème », réponds-je rapidement, en faisant de mon mieux pour éviter ses yeux.

« M. Boyle, le dîner est prêt. » La même dame qui nous a ouvert la porte entre pour nous guider vers la salle à manger.

Tout est magnifique.

Nous nous asseyons tous à une grande table, mais toujours proches les uns des autres.

« S'il vous plaît, profitez-en. » Notre hôte sourit, et nous commençons tous à manger. Le dîner est délicieux. Mes pensées sont toujours occupées par les événements à venir. Je vais vivre ici avec lui. Ce n'est tout simplement pas possible.

Je dois penser à quelque chose, n'importe quoi.

« Quel âge as-tu, Amelia ? »

Je me demande si le fait de lui parler le fera changer d'avis.

« Mia. » La voix de ma mère me ramène au présent.

« Oui ? » Je lève la tête.

« Quel âge as-tu ? » répète-t-il.

« Vingt-quatre ans. »

« As-tu obtenu ton diplôme ? » Pourquoi est-ce qu'il continue à poser autant de questions ?

« Oui, un diplôme en zoologie et un en microbiologie. »

« Ça a l'air intéressant, et qu'est-ce que tu fais ? »

Oh s'il te plaît, arrête ces conneries, comme si tu t'en souciais... Ou peut-être qu'il s'en soucie parce qu'il doit passer le reste de sa vie avec moi. Le reste de sa vie... Bon sang, je dois lui parler.

« Je travaille au zoo d'Idaho, et toi ? » Je prends une gorgée de vin. La seule chose qui puisse me faire me sentir mieux.

« Je dirige une entreprise familiale et je m'occupe aussi des affaires de la meute. » Il a l'air si sérieux. Est-ce qu'il sourit parfois ?

« Ça n'a pas l'air intéressant. » Je fais mon commentaire à voix haute. Erreur ! Je voulais le garder pour moi.

« Mia ! » Maman me gronde, contrairement à papa, qui s'amuse certainement.

« Non, c'est très bien. Ce n'est certainement pas aussi intéressant que de travailler avec d'autres espèces. Vous voulez que je vous montre la maison et le jardin ? » Il regarde mes parents.

« Oh oui, s'il te plaît, la maison est magnifique. » Maman a l'air ravie. Au début, c'était elle qui criait après papa, et maintenant elle est si gentille. Je lève instantanément les yeux au ciel.

« Amelia, veux-tu te joindre à nous ? » Liam me regarde, perçant littéralement mon cerveau du regard. Mon cœur commence à battre la chamade, et la seule chose que j'ai envie de faire maintenant est de me transformer et de courir.

« Veux-tu ? » répète-t-il avec un sourcil levé et un petit sourire en coin. Oh, mon Dieu, il s'est rendu compte que je le fixais. Je suis vraiment une idiote !

« Oui, allons-y. » Je me lève rapidement et je les suis.

Il nous fait visiter la maison et le jardin, où il y a un magnifique pavillon avec une cheminée. Malgré tout cela, je n'ai toujours pas envie de vivre ici, avec lui. Je ne suis pas à ma place ici, et ce n'est pas bien.

Quelque part, nos compagnons nous attendent.

Nous nous asseyons dans le salon. Liam et papa boivent du scotch, maman et moi, du vin. Je me sens si mal à l'aise.

« La cérémonie de mariage aura lieu ici, dans le jardin. Avec ma meute, nous nous occuperons de tout. Nous accueillerons vos amis et votre famille. J'enverrai quelqu'un chercher tes affaires. »

Je ne peux pas l'écouter. C'est beaucoup trop. Je me lève rapidement et me précipite vers le jardin.

« Mia ! » crie maman, mais je l'ignore. J'essaie de reprendre mon souffle. Le mariage, le déménagement, changer de vie, j'aimerais que ce ne soit pas vrai.

« Je sais ce que tu ressens. Dépassée, n'est-ce pas ? » Il s'approche de moi.

« Si tu sais ce que je ressens, pourquoi fait-on ça ? Arrêtons. » Je ne veux pas le regarder. Ses yeux sont trop hypnotiques.

« Ce n'est pas mon idée. Un mariage arrangé n'est pas quelque chose que je souhaitais. Je ne suis pas heureux non plus. »

Je ne peux pas le croire. S'il ne veut pas non plus, qu'est-ce qu'on fait ici ? Aaaaargggh ! J'ai envie de crier. Je veux me transformer en louve et courir dans les bois, mais je sais que je ne peux pas.

Pas ici, pas en face de lui.

« Alors, finissons-en. Je vais de mon côté, et tu restes ici. Nous n'avons pas besoin de ça. »

« Tu as tort. Nous en avons besoin. Nos meutes ont besoin d'une alliance en ces temps. De toute façon, j'ai donné ma parole à mon père que je le ferai, et je ne peux pas la briser. C'est ce que ma meute attend de moi. »

Je m'accroupis et enfouis mon visage dans mes mains. Je ne comprends rien à ce qu'il dit. Je me fiche de ce qu'il a promis, je n'ai fait aucune promesse. Je prends quelques grandes respirations.

« Écoute, tu sais qu'en faisant cela, nous rejetons fondamentalement notre foi. Comment sommes-nous censés rencontrer nos compagnons si nous sommes coincés l'un avec l'autre ? Nos meutes peuvent quand même être alliées. »

« On n'est pas obligés de se marier... »

« Mais c'est ce qu'on va faire, autant t'y faire ! » Il me coupe avec une réelle colère puis retourne dans le salon.

« Ne pleure pas. Quoi qu'il arrive, ne pleure pas », ne cessé-je de me répéter.