L'Éveil

C'étaient des fermiers, ils étaient pacifiques et n'avaient jamais eu à se battre de leur vie. Contrairement à ce que veulent les légendes et les histoires humaines, tous les loups ne sont pas des machines à tuer ou des bêtes féroces.

Certains sont des gens tranquilles, amoureux de la terre, qui ne veulent jamais connaître le frisson de la chasse ou le goût du sang chaud d'un autre être.

En l'espace de quelques mois, nous avons été traînés dans un combat à mort, et les enfants ont été confiés à des personnes âgées et fragiles ou à des femmes enceintes.

Nous avons attendu sans fin de savoir lequel de nos proches reviendrait à la maison.

Jusqu'à ce qu'une nuit, les personnes qui s'occupaient de moi en leur absence, les derniers Whyte trop vulnérables pour les suivre, soient massacrés par des vampires qui ont envahi nos maisons situées à l'extrémité des terres agricoles.

Je suis la seule survivante et j'ai été envoyée à l'orphelinat. Les événements de cette nuit-là sont très flous. Je ne m'en souviens pas vraiment et je ne sais pas pourquoi j'ai été épargnée. Je n'étais qu'une enfant.

Je me souviens encore de mon agonie le jour où j'ai vu les autres revenir en masse, où la bataille s’est terminée, où les vampires ont battu en retraite, et où personne, pas une seule personne de ma lignée, n'est rentrée à la maison.

Une meute de plus de quarante personnes, tous ceux que je connaissais, que j'appelais les miens, ils avaient tous disparu... Tous, jusqu'au dernier d'entre eux. J'étais seule.

Il n'y a pas de douleur plus grande que celle d'un enfant de huit ans qui apprend que tous ceux qu'il a aimés et qui l’ont protégé ne reviendront jamais à la maison.

Je ne suis plus en sécurité, je n’ai plus d’avenir, et tout ce que j'ai connu depuis, c'est l'isolement et la solitude d'être l'une des nombreuses personnes qui ont été jetées ici pour y pourrir.

Et me voilà maintenant, au milieu de ce groupe d'adolescents qui sont les seuls à avoir un lien avec les personnes que j’ai aimées dans le passé. Nous sommes une bande hétéroclite de laissés-pour-compte, avec qui aucun membre de la meute ne veut se lier de peur d'engendrer une progéniture plus faible.

Dans notre monde, tout est question de domination, de pouvoir, de position et de capacités. L'ADN, c'est tout ce qui compte. On nous appelle la meute des rebuts, ce qui résume exactement la raison pour laquelle nous sommes négligés.

Nous n'appartenons plus à personne, même si, en droit, nous devrions faire partie de la communauté unie des loups, cette nouvelle super meute. Le lieu nous lie, après tout.

Mais ce n'est pas le cas : ils nous considèrent comme des enfants maudits et nient notre simple existence, nous jetant du côté obscur de la montagne pour ne pas avoir à nous voir.

Cette maison est le seul foyer que nous connaissons actuellement, et les personnes qui s'occupent de nous le font par devoir et non par amour. Ils ont peur d’être contaminés par notre malédiction.

Il est interdit d'abandonner un enfant de la meute, même s'il est issu d'une lignée honteuse.

Les Parques et nos traditions ont des lois et des règles anciennes auxquelles nous devons nous conformer, et il est odieux d'abandonner les plus vulnérables.

Nous recevons donc un foyer, un abri, de la nourriture et une éducation - des soins de base - à condition que nous partions après notre Éveil. Nous sommes amputés de la meute comme un membre gangrené.

Nous devons partir, trouver notre voie et nous débrouiller seuls. Nous transformer nous donne des dons et des capacités qui nous permettent de faire cavalier seul et de trouver une meute qui veuille de nous, si c'est possible.

Cela résout leur problème et les dispense de toute responsabilité à notre égard, ce qui craint si vous vous transformez à un jeune âge alors que vous êtes coincés ici avec nous.

Voilà où j'en suis. Il ne reste plus que quatre heures avant que nous ne montions au Rocher de l'Ombre pour la pleine lune, et je me transformerai pour la première fois de ma vie.

Je passe de l'état d'enfant à celui de femme, et mes dons se manifesteront en même temps que ma louve, quelle qu'elle soit.

Non pas que j'aie la moindre idée de ce que seront mes dons, si tant est que j’en aie. Nous n'avons pas tous de dons spéciaux, et il est peu probable que j'en ai un. Mes parents n'ont jamais parlé du leur.

J'ai assisté à cette cérémonie une fois par mois pendant de nombreuses années, et cela m’a toujours terrifiée de savoir que je serai l'une d'entre eux un jour, debout au centre, pétrifiée par ce que la lumière de la lune apporterait.

C'est une lune de sang ce soir, c’est censé être un symbole, biblique ou autre, signalant la fin des temps. Non pas que j'aie prêté attention à nos études lunaires, car elles n'avaient que peu d'importance pour moi.

La première transformation s'accompagne de douleur, de beaucoup de douleur. Vous entendez les os craquer, la chair se déchirer et les hurlements de ceux qui passent par là, et cela vous hante pour l'éternité.

C'est inévitable. C'est horrible à voir, cela m'a traumatisée la première fois alors que j'étais encore si jeune, mais on nous dit que cela ne fait mal que la première fois.

Après, nous serons différents, et la douleur sera beaucoup moins forte parce que nous pourrons guérir et résister beaucoup plus longtemps parce que notre race est plus forte.

Je l'ai vu. C’est ce qu’ils appellent l'amélioration physique. L’effacement des traits enfantins, le raffermissement du corps, la prise de muscle, comme si on recevait une injection qui nous améliorait de manière surhumaine.

Tous ceux qui se sont transformés deviennent supérieurs en tous points, même en termes d'attractivité, ce qui explique pourquoi la plupart des femmes considèrent « Lord » Colton comme un dieu. Ses gènes sont puissants.

Ce n'est pas que je veuille changer. Je suis déjà grande, mince et athlétique, et je ne dirais pas que je suis laide. Je suis plutôt jolie, avec des lèvres pulpeuses, des cheveux bruns et des yeux anormalement verts.

Je les tiens de ma mère, et quand je me regarde dans le miroir, son souvenir me hante de la façon la plus douce-amère qui soit. Je suis fière d’avoir son visage, mais brisée qu'il me rappelle ce que j'ai perdu.

Je suppose que je suis ce que l'on pourrait appeler « la fille d'à côté », mais c'est un autre défaut de mon patrimoine génétique.

Les alphas sont tous beaux, magnifiques et physiquement parfaits. On ne peut pas nier qu'ils ont de bons gènes quand cela se voit dans chaque détail. Comparés aux humains, ce sont comme des dieux.

Maintenant, tout ce que je peux faire, c'est attendre.

Je me douche, je m'habille, je me brosse les cheveux et je fais les cent pas en regardant l'horloge et en comptant les minutes qui me séparent de la première lune de ma nouvelle vie.

C'est peut-être le premier pas qui va tout changer.

Je peux partir après ce soir, je peux m'éloigner de cette montagne et de ces gens qui nous traitent comme des moins que rien. Je serai libre de m'enfuir loin, sans lien avec qui que ce soit ou quoi que ce soit, sans que personne ne se préoccupe de savoir si je ne reviendrai jamais.

Je dois d'abord m'en sortir, et ensuite, ce sera le début d'une toute nouvelle existence pour moi.