J'étais une Garce

La première question qui m'est venue à l'esprit lorsque j'ai repris conscience a été «Pourquoi?»

Elle résonnait fort et de façon répétitive alors que je ne voyais encore que du noir. J'avais l'impression que ma tête était remplie de coton et que mes paupières pesaient une tonne. J'ai essayé de mobiliser toute ma volonté pour les ouvrir mais je n'ai pas réussi à faire autre chose que papillonner.

Mes oreilles bourdonnaient aux différents sons qui me parvenaient. Des cris. Des pleurs. Des injures. De la lumière. Une lumière aveuglante.

Que diable m'arrivait-il?

«Lacey? Lacey, tu m'entends?»

Est-ce qu'ils me parlaient?

J'ai essayé d'ouvrir la bouche pour répondre mais je ne pouvais pas bouger. Puis quelqu'un a soulevé mes paupières, et une lumière m'a aveuglée alors que je la suivais sans même m'en rendre compte.

«Elle est consciente et elle est en train de se réveiller.»

De l'eau. J'avais besoin d'eau.

Ma bouche ressemblait au Sahara et je n'arrivais même pas à avaler. Un mal de tête me faisait souffrir le martyre tandis que des milliers de questions remplissaient mon esprit. Quel jour étions-nous? Où étais-je? Pourquoi tout me faisait-il si mal? Pourquoi ne pouvais-je pas ouvrir les yeux?

«Lacey, serre ma main aussi fort que tu peux si tu m'entends.»

J'ai senti que quelqu'un prenait ma main dans la sienne et me parlait.

«Lacey, serre ma main chérie.»

Il m'a fallu toute la force du monde pour donner la moindre pression, et j'ai entendu ensuite encore plus de cris et de pleurs, et je ne pouvais toujours rien voir.

Tout me faisait mal, tout était trop fort et résonnait autour de moi, et je voulais crier, la confusion montait en moi, mais je ne pouvais rien faire.

Alors, j'ai fermé les yeux et j’ai sombré dans l’inconscience, qui m'a accueillie à bras ouverts.

***

«Est-elle déjà réveillée?»

S'ils avaient pu, mes sourcils se seraient froncés alors que le sentiment familier de confusion s'emparait de mon cerveau. Plus de voix. Ma gorge. Mon Dieu, elle était si sèche, comme du papier de verre.

Apparemment, je retrouvais certaines fonctions puisque j'ai commencé à cligner des yeux. D'abord lourdement, puis rapidement.

Allez, ouvre les yeux!

La lumière était trop forte au début et j'ai voulu m'en protéger les yeux avec le dos de ma main, comme j'avais l'impression de le faire normalement, mais je ne pouvais pas trop bouger mes bras, alors j'ai juste cligné des yeux.

«Oh mon Dieu! Appelez le médecin! Lacey! Tu m'entends, bébé?»

Une ombre a protégé mes yeux de la lumière aveuglante, et j'ai voulu pousser un soupir de soulagement lorsque ma vision est devenue plus claire. C'était une silhouette menue, une femme.

Elle avait de longs cheveux bruns tombant en cascade dans son dos, et l'inquiétude était peinte sur tout son visage alors qu'elle me fixait. Puis quelqu'un lui a demandé de se déplacer, et une autre silhouette a pris sa place pour me protéger de la lumière aveuglante.

Cette fois, c'était un homme imposant, avec une étrange tenue blanche. Il a sorti quelque chose de sa poche pendant que je clignais encore des yeux, puis m'a aveuglée avec une petite lampe de poche tandis que mes pupilles la suivaient.

J'ai eu une étrange impression de déjà vu.

«Bienvenue parmi nous, Lacey. Tenez, vous avez peut-être soif.»

Mon Dieu, il lisait dans les pensées. J'ai presque couiné quand il s'est approché de moi avec un gobelet d'eau.

Il y avait une paille dedans qu'il a placée dans ma bouche et j'ai commencé à boire, gémissant de soulagement alors que ma gorge sèche commençait lentement à revenir à la vie. J'ai bu tout le gobelet, et j'ai poussé un léger soupir.

«Encore?» m'a-t-il demandé. «Vous pouvez parler maintenant?»

J'ai ouvert la bouche et une voix rauque, profonde et bizarre, dont je ne savais pas qu'elle sortirait un jour de ma propre bouche, a répondu: «Oui, s'il vous plaît.»

Puis d'autres cris et hurlements se sont fait entendre, mais je ne pouvais pas dire d'où ils venaient. Ni de qui.

J'ai bu l'autre gobelet d'eau avec l'aide de l'homme imposant, et je me suis raclé la gorge deux ou trois fois avant de parler à nouveau.

Les questions arrivaient plus rapidement et plus intensément de minute en minute, la confusion devenant ma nouvelle meilleure amie. Bienvenue à toi, la confusion, fais comme chez toi.

«Où suis-je?»

Ma voix était encore rauque mais c'était déjà mieux que la première fois.

«Lacey, vous êtes à l'hôpital, ma chérie. Je suis le Docteur Shaeffer.»

L'hôpital? Docteur? Que diable se passait-il?

«Qu…quoi?»

«Je sais que tout cela doit être vraiment étrange et déroutant pour vous en ce moment, mais je vais tout vous expliquer, d'accord? Je vous le promets. Mais pour l'instant, nous devons faire d'autres examens. Nous devons nous assurer que tout fonctionne correctement.

Vous voulez bien faire ça pour moi, Lacey?»

Cette fois, je pouvais froncer les sourcils, et je l'ai fait. Mais j'ai quand même répondu un petit «oui», et le docteur a souri.

Il a fait sortir de la pièce les personnes que je ne pouvais pas distinguer, puis il m'a demandé de bouger mes orteils, mes jambes, mes bras et mon cou.

Et une fois qu'il a été sûr que je pouvais tout bouger, au moins un tout petit peu, il a soupiré, semblant soulagé et satisfait.

«Donc, maintenant que nous nous sommes occupés du physique, j'ai besoin de savoir si tout va bien mentalement aussi, Lacey. Je vais juste vous poser des questions simples. Avez-vous besoin d’encore un peu d'eau avant?»

«Non, merci.»

Il a pris son petit bloc-notes et l’a ouvert à une nouvelle page.

«Quels sont vos nom et prénoms?»

«Lacey Amanda Jones», ai-je déclaré.

«Où habitez-vous?»

J'ai ouvert la bouche, prête à répondre, mais rien n'est venu.

Je voyais ma maison, sa clôture blanche, et ma chambre encore décorée comme si j'étais une fillette de dix ans, obsédée par le rose et les licornes... mais quelle était l'adresse?

«Pouvez-vous au moins me dire la ville?» a insisté le médecin.

Le nom a fait son chemin jusqu'à mon cerveau. «Kirtland, dans l’Ohio!» me suis-je exclamée avec soulagement.

Le médecin a souri. «Bien. En quelle année sommes-nous?»

«2013.»

Le médecin a levé les yeux de son bloc-notes, son sourire bientôt remplacé par un froncement de sourcils.

«Pouvez-vous me répéter cela, Lacey?»

«2013.»

Il s'est mordu la lèvre avec inquiétude.

«Lacey, quel âge avez-vous?»

«J'ai seize ans», ai-je répondu.

Je le savais comme deux plus deux égalent quatre, mais je ne me souvenais de rien.

Avais-je fêté mon anniversaire? Je ne savais même pas quel genre de gâteau j'avais mangé ni quels cadeaux j'avais reçus, comme si c'était à des années-lumière.

«Ok... Je dois aller parler à quelques médecins, Lacey, ne bougez pas. Je vais dire à votre famille de venir, je suis sûr que vous voulez les voir maintenant.»

Ma famille... Je parvenais à imaginer quelques visages, maintenant que j'y pensais.

Deux personnes sont entrées dans la chambre, et une femme qui semblait avoir la quarantaine s'est penchée sur mon lit, les yeux remplis de larmes, et a commencé à caresser mes cheveux.

«Oh mon Dieu, Lacey, ma petite fille, nous pensions... nous pensions que nous t'avions perdue.»

Et puis elle a éclaté en sanglots, et je la regardais en fronçant les sourcils. Une partie de moi savait qu'elle était ma mère, mais les souvenirs d'elle et moi étaient... si vieux. C'était comme si elle était une inconnue, même si je savais qui c’était. Un sentiment des plus étranges.

Elle a soulevé un peu mon corps pour me serrer dans ses bras alors qu'elle sanglotait de plus en plus, et que les larmes coulaient sur son visage, certaines sur mon cou.

«Est-ce que tu vas bien? Tu peux bouger?» a-t-elle demandé, sa voix se brisant un peu.

«Tara, laisse-lui un peu d'espace», a suggéré un homme en l'éloignant de moi par le bras.

Mon père. C'était mon père, ça c'était sûr. Mais c'était le même sentiment qu'avec ma mère. J'avais l'impression que c’était un inconnu.

«Salut Lacey, comment tu te sens, mon petit?» a-t-il demandé.

J’entendais qu'il était sur le point de pleurer aussi, et tout cela était trop pour moi.

Je voulais crier et courir, échapper à ce sentiment de confusion et de terreur, mais je restais coincée là, allongée sur mon lit, à regarder ces deux inconnus que je savais être mes parents.

«Te souviens-tu de quelque chose de l'accident?» a demandé ma mère, en plaçant doucement une mèche de mes cheveux derrière mon oreille, comme si j'étais une petite fille.

L'accident? De quoi parlait-elle? Quel accident?

Ah oui. J'étais à l'hôpital. Il devait y avoir une raison à cela.

Mon Dieu, mon cerveau fonctionnait lentement.

«Non. Que m'est-il arrivé? Pourquoi suis-je ici?» Des larmes de terreur se sont finalement échappées de mes yeux, et ma mère les a essuyées avec son pouce dès qu'elles sont tombées sur mes joues.

«Oh, Lacey, mon bébé. C'est bon. Tu vas bien maintenant.»

Mes yeux sont tombés sur sa main qui prenait la mienne, et j'ai remarqué que j'avais des aiguilles plantées dedans et des tubes reliés à mon bras. C'était une vision complètement terrifiante, alors j'ai détourné le regard.

«Tu as eu un accident, mon petit», a expliqué mon père.

«Ta voiture... s'est écrasée sur une autre et tu...» Il a levé un peu les yeux, sûrement pour retenir ses larmes. «Tu as failli mourir mais les médecins ont réussi à te maintenir en vie et maintenant... Tu es réveillée et c'est... un miracle.»

Et puis il s'est mis à pleurer aussi, et mon cœur me faisait mal, et j'avais envie de crier à nouveau. J’avais toujours l’impression qu’il était un inconnu pour moi.

«Je ne me souviens de rien...» ai-je avoué avec crainte. «Depuis combien de temps... Depuis combien de temps suis-je ici?»

Les deux inconnus - ou plutôt mes parents - se sont regardés pendant une seconde, puis ont baissé leurs yeux vers moi, des yeux pleins de pitié, de celle que l'on accorde aux personnes sans intérêt.

«Mon petit, tu es dans le coma depuis deux mois.»

J'ai eu l'impression que l'air était aspiré de mes poumons pendant une seconde alors que je fixais mon père, en état de choc. Deux mois. Non. C'était impossible. Je ne pouvais pas avoir dormi pendant deux mois, n'est-ce pas?

«Le médecin a dit... il a dit que tu pensais avoir seize ans...» a commencé ma mère, l’air un peu hésitante.

«Oui...» ai-je dit d’une voix traînante.

«Chérie, tu as dix-huit ans. Tu te souviens de ta fête d'anniversaire avec tous tes amis? Derek t'a acheté des boucles d'oreilles en diamant et un magnifique collier, et il t'a emmenée dîner. Tu te souviens?»

Derek? Qui diable était Derek? Et qu'est-ce que c'était que ce discours insensé selon lequel j'avais dix-huit ans?

Deux mois plus seize n'égalent pas dix-huit! Mais qu'est-ce qui se passait? Oh mon Dieu. Je me sentais si fatiguée tout d'un coup. Je voulais juste me laisser glisser dans le sommeil, là où rien n'avait d'importance, et où mon esprit ne pouvait pas me jouer de tours.

Oh la confusion, je ne veux pas de toi ici!

«Je suis fatiguée», ai-je chuchoté, sentant mes paupières devenir trop lourdes pour que je puisse encore faire semblant.

«Oh, bien sûr chérie, nous allons te laisser dormir. Nous pourrons en parler plus tard. Je t'aime tellement ma chérie». Ma mère reniflait.

J'ai fermé les yeux et je suis retombée dans le sommeil, mettant enfin un terme à la saturation de mon cerveau.