L'Esclave du Dragon - Couverture du livre

L'Esclave du Dragon

C. Swallow

Chapitre 2

10 ans plus tard ~

Madeline

« Prenez ça », dit Layla en tendant deux sacs à dos vers Darshan et moi.

Mon ami aveugle l’attrape avec facilité tandis que je saisis le mien fermement, sans pouvoir m’empêcher de sourire.

« Voici tes deux nouvelles ‘recrues’ pour aujourd’hui, Axel. Surveille-les de près. »

« Oui, Layla. » Axel s’approche et nous demande de rester en retrait avec le reste de son grand groupe d’esclaves, dont la mission est de se rendre à la ville la plus proche pour ramener des provisions pour la Horde de Requiem.

Je n’étais pas autorisée à quitter le territoire des montagnes de Requiem, mais grâce à ma ruse, j’ai convaincu Layla de me laisser aller en ville au moins une fois.

Bien sûr, c’est une chance que Layla, une jeune femelle dragon bleu inexpérimentée qui est responsable des jeunes esclaves, soit aussi secrètement mon amie.

Dans la Horde de Requiem, Haël désapprouve que les dragons soient amis avec des mortels. Il le décourage, aimant proclamer et imposer le fait que nous ne sommes que des esclaves et que nous n’avons aucune valeur, surtout pas pour une amitié.

Pour une fois, la pensée de Haël ne me bouleverse pas et ne me met pas en colère au point de vouloir tuer ce salaud.

Cette fois-ci, le fait de penser à lui me fait sourire, de façon incontrôlable, parce que je prépare mon grand plan d’évasion et il n’a aucune idée ~dece que je mijote.

« Madeline. » Layla attire mon attention alors que je me tiens avec Darshan et les autres esclaves, juste à l’extérieur des grottes qui mènent à la forêt luxuriante.

« Reste près d’Axel. Assure-toi de faire exactement ce qu’il dit, et ne t’éloigne pas. Haven est une grande ville et ça pourrait être dangereux de te retrouver seule. »

Parfois j’ai peur que Layla puisse lire dans mes pensées, mais je sais qu’elle ne le peut pas.

« Maddie est une brave fille. Vous n’avez pas à vous inquiéter », dit Darshan à Axel et Layla pour prendre ma défense.

Mais bien sûr, il ne peut s’empêcher de faire preuve de sarcasme. Je lève les yeux au ciel, et je sais qu’il peut le sentir même s’il ne peut pas me voir.

« Bon voyage. » Layla salue le groupe d’un signe de tête et tourne les talons sous sa forme humaine, retournant avec grâce à l’intérieur de la montagne, ses cheveux bleus scintillant avec les derniers rayons de soleil avant d’être engloutis par l’obscurité des grottes.

Je me tourne alors vers Axel, le guérisseur d’âge moyen qui est censé me surveiller de près.

« Vous serez enchantés par les splendeurs de la ville », explique Axel pour Darshan et moi.

« Vous avez tous les deux seize ans maintenant, vous êtes donc autorisés à rejoindre notre groupe de ravitaillement. Cependant, ne sous-estimez pas les dangers des humains errants. Vous avez vécu la plupart de votre vie entourés de dragons et de leur puissance, mais les humains inconnus peuvent aussi être très dangereux. Restez près de nous. »

« Pourquoi la ville s’appelle Haven si elle n’est pas sûre ? Ça signifie ‘refuge’… » lui demandé-je avec curiosité, en humant l’air de la forêt.

Je retiens un rire joyeux alors que mes bottes s’enfoncent dans la prairie herbeuse. Cela faisait bien trop longtemps.

Bien sûr, il m’arrivait de me faufiler dans la forêt pendant quelques minutes, mais j’avais toujours trop peur de me faire prendre, et je ne pouvais donc jamais profiter de la forêt comme je l’aurais voulu.

« C’est juste un nom, Maddie », dit Darshan qui marche rapidement devant Axel et moi. « Les sons de la forêt... oh, comme ça m’a manqué. »

« Ce garçon est incroyable », dit Axel dans un souffle. « Il ne peut rien voir, pourtant il est tellement agile, prudent, et rapide ~en plus~.~ »

« Darshan ! » Je l’appelle parce que juste au moment où Axel dit ça, je vois Darshan esquiver un arbre puis un autre, pour finir par trébucher sur un buisson et se retrouver face contre terre.

Axel retient une exclamation et je me contente de rire, car je le connais trop bien.

« Il est beaucoup trop enthousiasmé par cette nouveauté », dis-je à Axel en chuchotant.

Quelqu’un près de Darshan essaie de l’aider à se relever, mais avant d’y parvenir il est déjà debout, se tournant pour me « regarder » avec un sourire sur son visage tout sale, des feuilles et des brindilles dans les cheveux.

« C’est génial ! » s’écrie-t-il en levant le poing en l’air avant de se retourner pour sautiller à nouveau dans la forêt, s’approchant de l’avant du groupe, où le chef l’attrape par le bras et le repousse derrière lui.

« Tu suis, tu ne mènes pas ». L’esclave corpulent se montre dur, mais pas trop, lorsqu’il dit à Darshan de rester à sa place.

« Depuis combien de temps es-tu esclave ? » me demande Axel avec curiosité. « On ne se connaît pas vraiment. »

Il y a au moins cinq mille esclaves dans tout le complexe de la montagne. Et au moins deux cent dragons. Seul ce petit groupe chanceux d’une centaine d’esclaves est autorisé à aller à Haven pour ravitailler les autres.

« Dix ans », lui dis-je. « Haël m’a kidnappée quand j’avais six ans. Depuis, on m’a appris à faire le ménage et tout ce que je voulais, c’était rejoindre ce groupe de ravitaillement. Tu as de la chance de pouvoir souvent sortir en ville. Comme un petit goût de liberté ! »

« Fais attention à la direction que prennent tes pensées, ma fille », désapprouve instantanément Axel, qui murmure la suite.

« Nous n’en parlons pas, mais si un esclave de notre groupe ose s’enfuir, nous sommes tous sévèrement punis... et l’esclave qui s’échappe est puni par Haël en personne. Tu comprends ce que je veux dire, Madeline ? »

Je ne réponds pas. Je regarde juste fixement la forêt, mes espoirs s’effondrant alors que j’observe Darshan et tous les autres esclaves.

Comment pourrait-on s’échapper en laissant tous ces innocents se faire punir ?

« ...À moins qu’on essaie tous de s’échapper ensemble... » dis-je dans un murmure en pensant à voix haute. Axel m’attrape le bras et m’arrête, me regardant avec de grands yeux.

« Ne dis pas des choses aussi stupides. Tu devrais être honorée d’être une esclave choisie par la Horde de Requiem. Cette vie vaut la peine d’être vécue. »

Je regarde Axel, les yeux écarquillés, et retire mon bras de sa prise. Je marche vite vers Darshan, en fredonnant pour empêcher les larmes de couler sur mon visage.

Si seulement il savait... Je suis de la famille royale, et on m’a réduite à n’être qu’une fille sans valeur, sans nom et sans importance.

Je sais que la Horde de Requiem ne nous traite pas trop mal, mais...

Je sais aussi que j’aurais pu avoir une vie tellement mieux que ça.

Et je voudrais tellement, tellement revoir mon grand frère Mason.

« Je peux ressentir ta douleur, Maddie », dit Darshan alors que je marche à ses côtés.

« Je suis forte, je ne ressens pas la douleur », dis-je froidement. Je déteste montrer mes faiblesses et je déteste que mon plan d’évasion tombe à l’eau.

« Chaque fois que tu fredonnes, c’est pour soulager ta peine. Comme quand tu chantes, d’ailleurs », dit-il. « Ne t’inquiète pas, Maddie... »

« On ne peut pas faire ce qu’on avait prévu de faire », lui dis-je dans un murmure, et il se tait aussitôt.

Je l’ai suffisamment distrait pour qu’il soit sur le point de rentrer dans un arbre, alors j’attrape son bras et l’aide à le contourner. « Attention. »

« Je sais Maddie... j’ai entendu ce qu’il a dit, mais on peut quand même profiter d’un bon moment. Sortir de cet endroit, aussi belle que soit son architecture... nous n’avons jamais été aussi chanceux. Profitons de cette liberté temporaire tant qu'on peut. »

Les mots de Darshan me calment.

« Tu es une brave fille », ajoute-t-il ensuite, parce qu’il sait que je déteste quand il me dit ça.

« Je ne t’aiderai pas à esquiver le prochain arbre si tu te comportes comme un emmerdeur », dis-je pour le menacer, juste avant qu’il ne m’attrape le coude et m’attire sur le côté, à l’écart du groupe d’esclaves.

« Tu sais, j’ai réfléchi... il y a un autre moyen de te libérer », murmure-t-il.

« Darshan, nous ne pouvons pas rester aussi loin du groupe », dis-je en regardant par-dessus mon épaule avec anxiété, sachant qu’Axel va bientôt se rendre compte que nous nous sommes écartés.

« Tu dois simplement simuler ta mort », dit-il en chuchotant.

« C’est le plan le plus stupide que j’aie jamais entendu ! » lui dis-je en le rabrouant et en le bousculant pour être aussi bête. Puis nous rejoignons rapidement le groupe d’esclaves.

« J’essayais juste de me rendre utile », dit Darshan en haussant les épaules, mais je l’ai clairement énervé. Il n’aime pas quand je suis dure avec lui, mais je suis en colère.

Simuler ma propre mort... Je ne pourrais pas faire ça !

« Je te connais. »

Je suis sortie de mes pensées alors qu’un garçon plus âgé s’approche de Darshan et moi.

« Moi, je ne te connais pas. » Je plisse les yeux en le regardant, car je ne le reconnais pas du tout.

« Oh, je suppose que tu n’as pas fait attention à moi... Je ne sors pas beaucoup, mais je t’ai déjà vue et j’ai entendu ta voix. Tu aimes chanter. »

Le garçon plus âgé, aux cheveux noirs et au nez percé, me fait un sourire insolent. Je suis perturbée par le fait qu’il soit beau, et surtout par le fait qu’il m’ait entendue chanter.

« Tu m’as espionnée ? » lui demandé-je en le regardant fixement.

« Je t’avais dit que les gens peuvent t’entendre chanter, Maddie. » Darshan est irrité et s’éloigne pour s’occuper de ses propres affaires, me laissant avec ce garçon esclave qui m’a espionnée.

« Je m’appelle Darren », se présente-t-il en souriant. Je m’arrête presque dans mon élan.

« Darren ? » répété-je, « Celui qui... ? »

« Oui, je suis l’esclave personnel de la Princesse Dragon. » Il lève les sourcils vers moi de manière provocante. « Donc tu as entendu parler de moi, au moins ? »

« Tu es un esclave sexuel », lui dis-je, et il met une main sur sa poitrine, faisant semblant d’être blessé.

« Je n’aime pas y penser comme ça... mais Adara me trouve une certaine utilité. » Darren semble bien trop content de l’admettre.

« C’est dégoûtant d’être utilisé pour le sexe. Pourquoi tu souris ? » Je plisse les yeux en le regardant alors qu’il tend la main pour attraper une mèche de mes cheveux ondulés et auburn foncé.

« Si naïve... si menue... pauvre petite chose. Tu sais que tu ne devrais pas être ici pour cette sortie à Haven. »

Je n’aime pas Darren, il est bien trop arrogant. Il remarque mon regard furieux et son sourire s’élargit.

« Tout le monde t’a entendue chanter, chère Madeline... tu ne penses pas que je t’espionnais, n’est-ce pas ? Adara t’a entendue chanter, et les autres dragons, et Haël...~ »

« Il ne m’a pas entendue chanter », dis-je sèchement en lui coupant la parole. « Et puis je ne veux plus te parler, je... »

« J’essaie juste de t’éduquer, petite fille. Tu n’es pas au courant, n’est-ce pas ? » Darren a l’air bien trop content de lui, il sait quelque chose que j’ignore.

« Je ne suis pas au courant de quoi ? » Je suis quand même curieuse.

« Hmmm... laisse-moi te l’expliquer. Je l’ai vu de mes yeux, Haël a banni sa dernière esclave personnelle, hum, hier soir ? Oui, c’est ça. Je me souviens qu’il lui a dit crûment de partir et de ne jamais revenir alors que nous étions tous en train de dîner !

« Habituellement, comme tu le sais, il aime avoir trois esclaves personnelles en même temps. Tu sais combien il en a maintenant ? »

Je deviens rouge, la colère m’envahit lorsque je réalise ce qu’il est en train d’insinuer.

« Il n’a plus aucune esclave personnelle, chère Madeline, et toutes les femelles qu’il a ramenées personnellement à sa Horde... finissent toujours par connaître le même sort. »

« Tais-toi. Pourquoi tu me dis ça ? Tu penses que parce qu’il m’a kidnappée quand j’avais six ans, il pense encore à moi ? J’ai eu très peu de contacts avec lui... »

« Tu as eu de nombreux contacts avec lui », ajoute rapidement Darren en me tapotant la tête, pour bien me montrer que je suis plus petite que lui.

« Tu étais toujours si timide et nerveuse, tu ne remarquais jamais personne d’autre dans la pièce, chaque fois qu’il t’ordonnait de te rendre dans la salle commune royale pour s’enquérir de tes progrès en tant qu’esclave.

« Tu crois qu’il fait ça avec tous les esclaves de toute la montagne ? Tu crois qu’il en a le temps ou la patience ? » Darren marque une pause, savourant mon silence abasourdi en jubilant.

« Et tu savais que... », il se met à murmurer, « je sais que c’est ton anniversaire aujourd’hui. Dix-huit ans c’est le point de basculement, l’âge où... »

« Je ne veux plus parler avec toi », dis-je rapidement pour le couper avant de partir à la recherche de Darshan.

J’entends le rire moqueur de Darren derrière moi.

Mes mains tremblent alors que je réalise enfin l’énormité de ce que Darren viens de dire.

Je veux dire, il ne peut pas avoir raison. En fait, il a très probablement tort.

Mais est-ce vraiment une coïncidence que Haël ait banni sa dernière esclave la veille ?

Alors que c’est mon dix-huitième anniversaire aujourd’hui ? ~

Je secoue la tête pour moi-même. Non, non, non.

Je ne veux pas croire Darren, croire que Haël fait de la place pour m’avoir comme esclave personnelle.

Ça ne peut pas être vrai. Layla me l’aurait dit.

Il y a des milliers de femmes parmi lesquelles Haël pourrait choisir.

Pourtant...

Peu importe ce que je me dis, j’en reviens chaque fois à la même intuition dans mon cœur.

Darren a raison.

C’est juste que je ne veux pas l’admettre.

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